Le déraisonnement climatique : voyage en Absurdie
PAR CAMILLE GALIC | 23 NOVEMBRE 2023 |
Par Camille Galic, journaliste et essayiste ♦ « La science du climat devrait être moins politique, tandis que les politiques climatiques gagneraient à être plus scientifiques. » C’est pourquoi, en réponse au fanatisme destructeur des écologistes, 1 609 scientifiques parmi lesquels deux lauréats du prix Nobel, l’Américain John F. Clauser et le Norvégien Ivar Giaever, viennent d’affirmer dans une Déclaration que « l’urgence climatique n’existe pas» car « les archives géologiques révèlent que le climat a varié tout au long de l’existence de la planète Terre, alternant les phases froides et chaudes de manière naturelle. Le Petit Âge Glaciaire s’est terminé pas plus tard que 1850. La période de réchauffement que nous connaissions aujourd’hui n’a donc rien de surprenant ». Mais que pèse la science face au fanatisme ?
Croisade contre les climato-sceptiques
Le 19 juillet, un groupe transpartisan de députés s’était réuni à l’Assemblée Nationale pour élaborer une proposition de loi visant à « améliorer le traitement médiatique du dérèglement climatique » par la soumission de tous les organes d’information hexagonaux à un « quota de sujets médiatiques portant sur le dérèglement climatique ». Mesure bien accueillie par les rédactions du Monde et de France Télévisions notamment alors que, comme le déplorait ici Éric Delcroix, il s’agirait ni plus ni moins que de créer un délit de climato-scepticisme aggravant encore le carcan imposé à la presse par les différentes lois liberticides.
La 42e session de la Conférence générale de l’UNESCO a lieu du 7 au 22 novembre sous la présidence d’Audrey Azoulay, ci-devant ministre français de la Culture et directrice générale de l’Unesco depuis 2017, avec pour thème la réponse à apporter aux « défis mondiaux causés par le changement climatique ». Enfin huit ans après son encyclique Laudato Si qui traitait largement du climat, le pape François, qui compte se rendre à la COP 28 prévue le 30 novembre à Dubaï et, de la tribune, haranguer les foules, a publié Laudate Deum : une exhortation apostolique sur l’écologie, où il estime urgent de changer le « mode de vie irresponsable du modèle occidental », auquel il impute la furie des éléments, une condamnation qu’il compte bien renouveler dans l’Émirat. Et tant pis si l’entourage princier, qui rêvent de voir Dubaï concurrencer New York ou Singapour quant à la hauteur des gratte-ciel (climatisés) et à l’immensité des centres commerciaux remplis d’innombrables fontaines, se soucie de la couche d’ozone comme de ses premières babouches.
En finir avec « l’Anxiocène »
Dieu sait pourtant que les ouvrages dus à ses scientifiques et critiquant l’hystérie climatique ne manquent pas. En août dernier, Johan Hardoy en récapitulait plusieurs, venus d’horizons et dus à des auteurs très différents. Mais rien n’y a fait— sauf peut-être le soutien à Gaza affiché par a Suédoise Greta Thunberg et qui a grandement fait chuter le prestige international de la grande prêtresse du retour à l’Âge (quasiment) de pierre.
Le Déraisonnement climatique, dernier livre de François Gervais, ancien directeur de recherches au CNRS, professeur des Université et même expert du GIEC, aura-t-il plus d’impact ? On l’espère car le réquisitoire dressé par ce grand physicien contre les catastrophistes tenant le haut du pavé politico-médiatique est non seulement une mine de renseignements et donc d’arguments opposables aux militants écolos mais aussi un ouvrage bien enlevé et plein d’humour. Un tour de force sur un sujet aussi aride.
« La peur est un formidable instrument de pouvoir, remarque-t-il. Vu le machiavélisme frénétique avec lequel certains tentent de nous l’instiller quotidiennement, c serait plutôt “l’Anxiocène” qui semblerait le mieux décrire notre ère, s’il fallait lui donner un nom. »
Or, cette peur n’est nullement justifiée. N’en déplaise au Souverain Pontife qui voue aux gémonies les automobilistes alors que sa chère COP28 sera présidée par le PDG de la compagnie pétrolière nationale de Dubaï, « l’Europe n’est responsable que d’un dixième des émissions totales [de CO2], la France d’à peine un centième. D’ici 2050, sa “culpabilité” relèverait ainsi de l’ordre du millième de degré. Vous avez bien lu. De quoi sombrer dans une éco-anxiété à s’en rendre malade ? »
D’autant, rappelle-t-il en citant le Nobel de physique Robert Laughlin que « le climat échappe à notre contrôle, le changement climatique est une question de temps géologique, quelque chose que la Terre fait régulièrement d’elle-même, sans demander la permission à qui que ce soit… Elle ne se préoccupe pas de savoir si vous fermez votre climatiseur… Elle ne remarque pas que […] vous conduisez une voiture hybride… Les niveaux de CO2 dans le monde sont déterminés par un processus de régulation géologique. La preuve se trouve dans les profondeurs de la terre. » Au demeurant, le dioxyde de carbone CO2 n’est-il pas bénéfique à la nature ? On lira avec intérêt le chapitre très éclairant qui lui est consacré.
Ajoutons que si la Terre n’en fait qu’à sa tête, il en va de même du Soleil dont les « facéties » rendent fous les météorologistes puisque, imprévisibles, elles sont à l’origine de la plupart des catastrophes climatiques frappant notre planète. Même si les Verts veulent à toute force en imputer la responsabilité aux humains trop humains car égoïstes et se souciant peu de l’avenir.
Il est d’ailleurs curieux que, tout comme les partisans des parcs éoliens indifférents à ce qu’il adviendra de ces gigantesques structures impossibles à recycler, les ennemis du diesel mais « enfants de la batterie » (électrique) ne s’inquiètent pas de la pollution engendrée par la production désormais massive de véhicules du même tonneau. Pollution — également massive — engendrée non plus par les forages pétroliers mais par l’extraction de ressources minérales dont notre auteur souligne qu’elle est « assortie de conditions d’exploitation parfois indignes […] s’agissant du travail de milliers d’enfants » : « Selon l’Agence internationale de l’Energie, le tonnage de cuivre est le double de celui d’un véhicule à moteur thermique. S’y ajoutent quelque 150 kilos de lithium, cobalt, nickel, manganèse et graphite. Pour obtenir 1 kg de la plupart de tels éléments, il faut habituellement traiter une tonne de minerai, ce qui en dit long sur le niveau des pollutions afférentes… Selon Bank of America, la consommation de nickel va augmenter de 500% d’ici 2050. Vous avez dit « sobriété” ? »
Nouvelle chasse aux sorcières
Au cours du voyage en Absurdie verte auquel il nous convie, François Gervais s’intéresse aux « vastes chasses aux sorcières » qui, après l’optimum médiéval des températures, coïncidèrent au XVIIème siècle avec le summum du Petit Âge glaciaire, quand « le vin gelait dans les carafes de Versailles », rapporte Saint-Simon. La froidure et les intempéries se succédant même au plus fort des étés, les mauvaises récoltes s’enchaînant evec leur corollaire, la disette, s’installèrent la révolte et le besoin de trouver des coupables. Certains se lancèrent dans des jacqueries, d’autres invoquèrent la main de Satan et, prenant pour prétexte la bulle Summis desiderantes affectibus lancée en 1484 par Innocent VIII sur les sorcières « qui changent le temps », se mirent à exterminer joyeusement celles-ci. Y compris, quel paradoxe ! de l’autre côté de l’Atlantique, dans cette Nouvelle Angleterre où régnaient sans partage les Puritains nostalgiques de l’antipapiste enragé qu’était Cromwell.
« Étude du foyer » à l’origine, l’écologie est devenue une religion dont les adeptes sont aussi fanatiques que les Pères Pèlerins du Mayflower. Cette fois, ce sont les climato-sceptiques qui sont démonisés et menacés du bûcher. Même, hélas ! en France, qui se voulait la patrie du rationalisme. Pour Noël, offrez donc — après l’avoir savouré — Le Déraisonnement climatique aux nouveaux zélotes. Peut-être cela les arrachera-t-il à leur délire.
Développement économique ou transition énergétique : ce dilemme dont l’Afrique doit sortir
avec Francis Mateo 14/12/23
Car en Afrique plus qu’ailleurs, l’exploitation des énergies fossiles est prise en tenaille entre la nécessité de respecter les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat et le besoin urgent de développement économique. Une dichotomie au cœur de la « diplomatie climatique internationale » qui soulève de nombreuses questions de justice et d’équité. Comme au Sénégal, aujourd’hui en proie à une grave inflation des denrées alimentaires (+ 15 % en moyenne l’an dernier). Pour sortir de cette ornière, le pays compte sur l’exploitation du gaz et du pétrole, dans le cadre du Plan émergent « Sénégal 2035 ». Cette activité devrait en effet participer efficacement à renflouer les caisses de l’Etat, notamment grâce aux retombées du projet de gaz naturel liquéfié (GNL) de Grand Tortue Ahmeyim (GTA), situé à la frontière maritime avec la Mauritanie, qui devrait générer 24 milliards de dollars en revenus cumulés. Avec une perspective de lancement à court terme, puisque la société de raffinage britannique BP chargée d’exploiter le site assure que les travaux sont achevés à plus de 89 %. Les impôts, taxes et parts de l’Etat et de la société sénégalaise du pétrole, Petrosen, représenteront 60% des recettes générées. Il faut ajouter les 15 milliards de dollars de retombées attendus sur le site pétro-gazier de Sangomar. Une manne que le Sénégal peut difficilement se permettre de refuser dans ce contexte de crise inflationniste.
Et de nombreux autres Etats africains sont dans une situation comparable, comme le Nigéria, la Tanzanie ou le Mozambique. Ce pays parmi les plus pauvres du monde, pourrait accéder à une rente de quelque 80 milliards de dollars dans les prochaines années, avec l’exploitation du projet « GNL Afungi » dans la région de Cabo Delgado. Les réserves totales sont ici estimées à 5.000 milliards de m3. Mais si la partie offshore a commencé à exporter ses premières cargaisons fin 2022, la partie terrestre, malgré les perspectives prometteuses, est encore gelée pour des raisons de sécurité, la zone étant déstabilisée par une insurrection d’obédience islamiste qui a connu un pic d’expansion en 2021. Aujourd’hui, la situation progresse, ce qui permet d’envisager une reprise prochaine des travaux, et de possibles premières exportations fin 2027. Aussi, la lettre ouverte de plusieurs ONG aux bailleurs de fonds, pour remettre en cause leur soutien au projet, interroge profondément les acteurs locaux. Le journal Noticias pointe par exemple la présence d’une seule ONG mozambicaine parmi les signataires, et Frederico Joao, président du forum des organisations de la société civile de Cabo Delgado, souligne une forme d’ingérence dans les mots d’ordre venant des pays les plus développés : « Les pays occidentaux ont eu leur opportunité et il serait injuste que, maintenant que notre tour est arrivé, ils apparaissent et disent que nous ne pouvons pas avancer »
« l’Afrique doit utiliser ses réserves de gaz »
Les réticences sont d’autant moins comprises que la mise en œuvre de projets de GNL à Afungi peut être un levier dans une logique de transition énergétique pour favoriser le financement d’autres sources énergétiques. C’est le cas au Mozambique avec la centrale solaire de Mocuba (40 MW), ou le projet de centrale hydroélectrique de Mphanda Nkuwa, d’une capacité de 1 500 mégawatts (nécessitant un investissement de 4,5 milliards de dollars). Car c’est bien sur cette capacité d’investissement que se joue en grande partie la réussite d’une transition énergétique en Afrique. Comme l’affirmait Antonio Guterres lors du dernier Sommet africain sur le climat à Nairobi, « les énergies renouvelables pourraient être le miracle africain ». Et il semble que l’Afrique ait un bel avenir en matière d’énergies renouvelables, puisque le potentiel de développement serait cinquante fois plus important que la demande mondiale en électricité prévue à l’horizon 2040.
Mais pour que la déclaration du Secrétaire général de l’ONU ne reste pas un vœu pieux, de nombreux obstacles recensés dans une étude du World resources institute en septembre dernier doivent être levés : le coût du capital élevé et le risque d’investissement selon les pays, des réseaux et infrastructures à créer, un nécessaire renforcement des réseaux électriques existants pour absorber même des parts relativement faibles d’EnR, des doutes sur la viabilité commerciale des projets au vue de la faible demande en électricité des Africains… Le rapport souligne que les modèles existants sous-estiment souvent ces variables pourtant fondamentales, pour conclure que « l’Afrique doit utiliser ses réserves de gaz ». En outre, la stratégie proposée en faveur de l’exploitation des réserves de gaz permet de réduire l’empreinte carbone en diminuant le recours au charbon, qui représente toujours 13% de la production d’énergie en Afrique. Le gaz apparaît ainsi comme le moyen le plus adapté de la transition énergétique.
« Pour assurer une transition énergétique en douceur, le développement des énergies renouvelables nécessite des investissements importants dans les infrastructures de réseau, le gaz naturel africain jouant un rôle essentiel dans le développement d’infrastructures de réseau résilientes », note l’analyste Reham Gamal. C’est d’ailleurs la démarche adoptée en Europe, et Janel Siemplenski Lefort ne dit pas autre chose quand elle souhaite, au nom de La Banque européenne d’investissement, que « le fardeau de la transition vers une économie sobre en carbone soit partagé équitablement au sein des sociétés ». Et la réalité oblige à constater que le continent africain, regroupant 17 % de la population mondiale, contribue seulement à hauteur de 4 % environ aux émissions mondiales de gaz à effet de serre. C’est aussi la région la moins industrialisée du globe.
Nier ces réalités parce qu’elles contrarient une vision idéologique de la transition exportée des pays les plus développés peut être perçu comme un déni des besoins du continent, confinant au mépris. Sébastien Fath, historien et chercheur au CNRS, emploie même le terme de « néocolonialisme écolo » pour définir ce sentiment d’iniquité, à une époque où l’Occident est souvent perçu comme un « donneur de leçons ». La déclaration récente des 27 ministres européens de l’Environnement résonne toutefois comme le début d’une prise de conscience. En prévision de la COP 28, l’UE a effectivement publié un communiqué commun préconisant un secteur énergétique « principalement exempt de combustibles fossiles » d’ici 2050, et un système électrique entièrement « ou principalement décarboné dans les années 2030 ». Des nuances inédites qui plaident pour davantage de modération vis-à-vis des politiques énergétiques en Afrique.