Pénurie d’engrais : cette nouvelle instabilité qui pèse sur la sécurité alimentaire mondiale
Published: October 22, 2023 5.06pm SAST
Authors
1.Yolande Senghor
Doctorante en agronomie à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (Sénégal), Cirad
- Alpha Bocar BALDE
agronome, Institut sénégalais de recherches agricoles (ISRA)
- François Affholder
Principal Investigator in Agro-ecology and sustainable intensification research unit, Cirad
- Gatien Falconnier
Écologue agronome, Cirad
- Louise Leroux
PhD, Remote sensing scientist, Cirad
Alors que les records de température continuent d’être régulièrement battus à la surface du globe, l’automne 2023 pourrait être le plus chaud jamais enregistré. Parmi leurs multiples conséquences, ces tristes exploits ne seront pas sans répercussions sur les agriculteurs d’Afrique de l’Ouest : les nombreuses sécheresses qui frappent la zone sont en partie provoquées par le phénomène El Niño, lié au réchauffement de l’océan Pacifique.
Pour les agriculteurs de cette région, l’adaptation au changement climatique n’est pas une perspective lointaine, mais bien une urgence réelle. Au même titre d’ailleurs que l’indispensable augmentation de la production agricole pour garantir la sécurité alimentaire d’une population qui croît.
Pour encourager cette adaptation, certaines pratiques agroécologiques, ancestrales dans la zone, sont ainsi remises au goût du jour : en particulier, le fait d’associer le niébé – une plante de la famille des légumineuses – au mil, céréale consommée dans la région.
Une récente étude menée par notre équipe et publiée en juillet 2023 montre que ce serait une piste prometteuse pour rendre les terres plus productives que lorsque la céréale et la légumineuse sont cultivées séparément. Et ce d’autant plus quand elles reçoivent également des engrais minéraux.
Mil et niébé, deux cultures complémentaires
Pour comprendre, revenons d’abord sur cette pratique ancestrale chez les agriculteurs du centre du Sénégal. S’ils ont longtemps associé niébé et mil, c’est que les deux cultures sont complémentaires : le niébé se développe sous la culture de mil et fixe l’azote de l’air dans ses tissus végétaux grâce à une symbiose avec des bactéries du sol du genre Rhizobium au niveau de ses racines. L’azote étant le principal nutriment requis pour la croissance des plantes, celui présent dans le sol reste alors disponible pour la céréale, en l’occurrence le mil.
Cette complémentarité permet bien souvent d’obtenir une productivité bien plus élevée que lorsque les cultures sont dans deux champs séparés. En moyenne, dans les expérimentations conduites en Afrique subsaharienne, un hectare de culture associée céréale-niébé produit autant que 1,3 hectare de culture pure, soit 30 % de rendement en plus. Il s’agit donc d’une stratégie d’augmentation de la productivité de la terre.
Toutefois, dans la pratique traditionnelle des agriculteurs du centre du Sénégal, ces derniers ne recourent que très peu (voire pas du tout) aux engrais minéraux. La céréale associée n’atteint généralement que 80 % (et le niébé environ 50 %) du rendement grain qu’elle atteindrait en culture pure (d’une seule espèce ou plante) pour une même superficie. Celui-ci étant déjà insuffisant pour assurer la sécurité alimentaire des populations actuelles et à venir.
Or, une synthèse de toutes les études mondiales suggère que le bénéfice de la combinaison (une meilleure productivité de la terre) est maintenu en cas d’utilisation d’engrais azotés. Autrement dit, l’introduction de ces derniers dans une configuration agroécologique ne favorise pas la productivité du mil au détriment de celle du niébé mais augmente la productivité globale.
Les leçons de notre expérimentation au Sénégal
Un tel comportement reste cependant à prouver dans la zone sahélo-soudanienne d’Afrique de l’Ouest : les stress hydriques fréquents pourraient se traduire par des compétitions entre la céréale et la légumineuse, au détriment de la légumineuse et au bénéfice de la céréale si cette dernière est fertilisée. En outre, les bénéfices de l’association pour s’adapter aux sécheresses, souvent vantés par les partisans de cette pratique, demeurent à établir expérimentalement.
Ce sont les questions auxquelles nous avons cherché à répondre dans notre étude, pour déterminer comment les aléas climatiques et la fertilisation minérale influencent les performances de l’association mil-niébé.
En 2018 et 2019, notre équipe a installé des cultures de mil et niébé – en culture pure et associée à la station expérimentale de recherche du Centre national de recherches agronomiques (CNRA) de Bambey au cœur du bassin arachidier sénégalais, à l’est de Dakar.
Quels effets en présence d’engrais ?
À chaque fois, les cultures étaient sujettes à deux niveaux de fertilisation : soit sans rien, soit avec 70 kg d’azote par hectare, une dose intermédiaire pour la zone.
L’équipe a suivi la croissance des céréales et des légumineuses, mesuré la dynamique de l’expansion des feuilles du mil et du niébé, leur biomasse aérienne et leur rendement en grains.
Nos résultats ont révélé qu’au-delà du gain majeur de productivité lié aux engrais – 2 tonnes de mil par hectare contre 0,5 sans engrais –, le bénéfice de l’association d’une légumineuse avec le mil – c’est-à-dire une productivité de la terre plus élevée que lorsque les cultures sont dans des champs séparés – est maintenu en présence d’un niveau raisonnable (70 kg d’azote par hectare) d’engrais minéraux.
L’association mil-niébé est donc une piste prometteuse pour intensifier la production agricole de façon raisonnée.
Une piste intéressante face au manque d’eau
Pour évaluer les effets du manque d’eau, une partie de l’expérimentation a été menée en présence d’irrigation pour étudier la performance de l’association en l’absence de stress hydrique. L’autre était réalisée en conditions pluviales, proches de celles vécues par les agriculteurs de la zone.
Une attention particulière a été apportée à l’observation de l’évolution au cours du temps des stocks d’eau du sol sous la culture, afin d’identifier les risques de stress hydrique pour les plantes : ces mesures ont révélé que l’année 2019 était plus contraignante en matière de stress hydrique que l’année 2018.
Les bénéfices de l’association ont bien été plus faibles lorsque la saison des pluies était plus sèche, mais ils sont restés toutefois notables. La pratique, combinée à une quantité raisonnable d’engrais minéraux, serait donc une option agroécologique pertinente dans un contexte de changement climatique.
Des résultats à confirmer
Grâce aux données d’expérimentation collectées, nous avons adapté un modèle de simulation : il servira à estimer les performances de la culture associée mil-niébé, en comparaison avec la culture pure, pour une gamme de variations climatiques plus large que celle des deux années d’expérimentation.
Le modèle de simulation, en utilisant le climat historique observé à la station de Bambey depuis 1990 et les projections climatiques futures fournies par le GIEC, nous aidera à répondre à certaines questions. Les années sèches, comme 2019, marquées par un fort stress hydrique sur le mil et un moindre avantage comparatif de l’association avec le niébé, sont-elles amenées à être plus fréquentes à l’avenir ?
De quoi confirmer l’intérêt de cette alliance entre céréale et légumineuse pour s’adapter au changement climatique.
Anicet G.B. Manga, Philippe Letourmy, César Bassene, Ghislain Kanfany, Malick Ndiaye et Antoine Couedel ont contribué à la rédaction de l’article scientifique sur lequel est basé ce papier.
Les agricultures africaines sur la piste de la climato-intelligence
Published: September 20, 2015 4.06pm SAST
Author
- Michel Eddi
L’agriculture est responsable d’une partie du changement climatique, mais elle en subit aussi les conséquences. Toutefois, si elle constitue aujourd’hui une partie du problème, elle pourrait devenir demain une partie de sa solution. Pour cela, il lui faudra non seulement ajuster ses pratiques afin de faire face aux modifications du climat, mais aussi atténuer ses émissions de gaz à effet de serre (GES) tout en ayant la possibilité de contribuer à stocker du carbone.
Ces adaptations seront essentielles en particulier pour les agricultures des pays tropicaux, car l’impact du changement climatique y sera plus important d’après les scénarios des experts du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Les simulations indiquent par exemple que sous les tropiques les rendements de maïs et de blé commencent à décliner dès que la température augmente de 1 à 2 °C ; ceux du riz aussi, dès qu’elle augmente de 3 à 5 °C. Or certains scénarios prévoient des augmentations locales de 3 à 4 °C, voire plus…
Insécurité alimentaire à l’horizon
En cas de forte augmentation des températures, de sécheresse, d’inondation ou de grande variabilité des extrêmes de précipitations, les risques d’insécurité alimentaire sont réels pour les populations les plus fragiles. Un accès insuffisant à l’eau potable ou à l’eau d’irrigation, qui est prévisible, aura évidemment des conséquences négatives sur toutes les formes d’agriculture, surtout pour les agriculteurs et pasteurs des régions semi-arides.
Or vers 2050, dans la majorité des pays africains, plus de la moitié de la surface cultivable sera soumise à des climats actuellement inconnus, avec des effets importants. Les modèles suggèrent aussi qu’à partir de 2080, sous les tropiques, un impact négatif sur les rendements de beaucoup de cultures est très probable. Les agriculteurs et les pasteurs ne sont pas les seuls concernés : l’impact du changement climatique sur les écosystèmes marins et côtiers et leur biodiversité peut aussi fortement menacer les ressources halieutiques.
Le cas subsaharien
La dégradation de l’environnement, conjuguée à la croissance démographique qui se poursuit dans de nombreuses zones rurales, explique l’augmentation forte de la population urbaine, qui peut déboucher sur des situations d’insécurité alimentaire marquées, comme en 2008. Elle pousse aussi les pasteurs à migrer, entraînant la saturation foncière de certaines régions avec des conflits sur l’accès à la terre.
C’est particulièrement le cas en Afrique subsaharienne, où des troupeaux sahéliens se sont déplacés depuis les années 1970 vers les zones subhumides. Historiquement nomades, les pasteurs s’y sont progressivement sédentarisés, tout en organisant des transhumances stratégiques de leurs troupeaux vers des sites plus favorables. Conséquence : la compétition entre les activités agricoles et pastorales devient source de conflits. L’élevage extensif, demandeur de grandes surfaces par définition, se retrouve confronté à la réduction, au morcellement, voire à la fermeture de l’accès aux pâturages de qualité, aux couloirs de transhumance et aux points d’eau, en raison de l’expansion des cultures vivrières. Il devient donc primordial d’organiser l’accès à ces territoires par de nouveaux accords entre leurs usagers.
D’autant plus que, quand la situation est vraiment dégradée, la raréfaction des aliments et de l’eau accroît les risques de conflit, comme au Darfour : la guerre civile extrêmement meurtrière qui y a éclaté en 2003 serait en partie due au changement climatique et à la dégradation de l’environnement.
L’agriculture « climato-intelligente », un espoir ?
Le concept d’agriculture climato-intelligente, dont on a commencé à parler dans les années 2010, se fonde sur la recherche d’une synergie entre l’adaptation au changement climatique et l’augmentation nécessaire de la production pour faire face au défi démographique. Il est né du constat que l’agriculture des pays en développement devait faire l’objet de transformations significatives pour répondre aux enjeux concomitants de la sécurité alimentaire et du changement climatique.
L’agriculture climato-intelligente a trois objectifs : atteindre une sécurité alimentaire durable (sur la base du non-épuisement des ressources disponibles), réussir l’adaptation au changement climatique (résilience de l’agriculture face à la perturbation climatique) et contribuer à son atténuation (émissions réduites des GES, stockage de carbone).
Une approche holistique
Adaptation, atténuation, sécurité alimentaire… Face à ces trois défis, l’agriculture climato-intelligente n’est pas définie comme une technique agronomique : c’est une approche globalisante prenant en compte les pratiques, les politiques publiques et les financements. Pour la promouvoir, il convient donc de décrire non seulement les bonnes pratiques, mais aussi les conditions supplémentaires nécessaires à leur mise en œuvre. Défi majeur qui ne va pas de soi tant la recherche de cet optimum dépend des contextes politiques et des milieux physiques, mais aussi des formes d’agricultures existantes.
En mettant en lumière un certain nombre de principes importants pour favoriser le développement agricole et la durabilité des pratiques, le concept d’agriculture climato-intelligente pourra contribuer à éclairer les interactions complexes entre agriculture, alimentation, marchés et climat. Mais son plus grand mérite est ailleurs, dans l’engouement qu’il suscite au sein de la communauté internationale, en particulier dans les pays africains. Ceux-ci ont récemment créé l’Alliance africaine pour l’agriculture intelligente face au climat, dans le sillage de la Global Alliance for Climate-smart agriculture (GACSA).
Le reverdissement du Sahel
Au Niger, un projet « climato-intelligent » a ouvert des perspectives intéressantes dans un des pays les plus pauvres de la planète. Des opérations de recherche-développement conjuguées à la mise en place de la décentralisation politique et au transfert des droits de propriété des arbres de l’Etat aux paysans ont permis de relancer la pratique de la régénération naturelle des milieux grâce à l’agroforesterie. En quelques années, l’augmentation de la densité des arbres est spectaculaire, contribuant à la modification du microclimat et de la fertilité du sol (adaptation), à l’augmentation de la biomasse sur pied (atténuation) et à l’amélioration des revenus et des conditions de subsistance des agriculteurs (sécurité alimentaire).
Sécheresses en Afrique et réchauffement climatique : attention aux raccourcis !
Published: October 13, 2022 9.12pm SAST
Authors
- Benjamin Sultan
Directeur de recherche au laboratoire ESPACE-DEV (Montpellier), Institut de recherche pour le développement (IRD)
- Christine Raimond
Directrice de recherche à l’UMR 8586 Prodig (Aubervilliers), Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
- Gilles Boulet
Chercheur IRD au Centre d’Études Spatiales de la Biosphère (CESBIO), Institut de recherche pour le développement (IRD)
Disclosure statement
Benjamin Sultan a reçu des financements de l’IRD, de l’UE, de l’ANR, du DFID, du CRDI, de l’AFD.
Christine Raimond and Gilles Boulet do not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and have disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.
Partners
Institut de Recherche pour le Développement (IRD) provides funding as a founding partner of The Conversation FR.
The Conversation is funded by the National Research Foundation, eight universities, including the Cape Peninsula University of Technology, Rhodes University, Stellenbosch University and the Universities of Cape Town, Johannesburg, Kwa-Zulu Natal, Pretoria, and South Africa. It is hosted by the Universities of the Witwatersrand and Western Cape, the African Population and Health Research Centre and the Nigerian Academy of Science. The Bill & Melinda Gates Foundation is a Strategic Partner. more
L’été 2022 a été marqué par des extrêmes climatiques qui ont touché le monde entier. La Corne de l’Afrique (Éthiopie, Kenya, Somalie) connaît l’une des pires sécheresses des quarante dernières années, avec des conséquences dramatiques pour plus de 30 millions d’habitants qui souffrent de la faim. Cette année est loin d’être isolée : sur les 50 dernières années, l’Afrique a enregistré un total de 1 695 aléas climatiques majeurs (principalement inondations, canicules et incendies, sécheresses) qui ont provoqué 731 747 morts et des pertes économiques de 38,5 milliards de dollars US (chiffres de l’Organisation météorologique mondiale).
Si les sécheresses ne comptent que pour 16 % de ces aléas climatiques, elles sont responsables de plus d’un quart des pertes économiques et surtout de 95 % du total des décès.
Ces sécheresses vont-elles s’aggraver avec le réchauffement climatique d’origine anthropique ? On est tenté de l’affirmer, mais quelques réserves s’imposent car le lien entre sécheresse et réchauffement climatique est en effet plus complexe à établir que pour les autres aléas climatiques qui menacent la région.
Il y a sécheresses et sécheresses
On appelle sécheresse une période prolongée de déficit pluviométrique entraînant des pénuries en eau avec des répercussions négatives sur des populations, des écosystèmes ou des secteurs d’activités comme l’agriculture, le tourisme, le transport, et/ou l’énergie. On parle :
- De sécheresse météorologique définie par un déficit prolongé des précipitations ;
- De sécheresse agricole ou écologique traduisant un stress hydrique des plantes et impacte la production agricole ou la santé de l’écosystème ;
- De sécheresse hydrologique lorsque les réserves en eau deviennent elles-mêmes déficitaires, le débit des fleuves, le niveau des nappes, lacs et réservoirs diminuent à des niveaux très faibles suite à un déficit pluviométrique particulièrement long, ou une suite de périodes sèches ;
- De sécheresse socio-économique lorsque la demande en eau pour les différents usages (domestiques, agriculture, tourisme, énergie) est largement supérieure à l’eau disponible.
Les évolutions historiques et les scénarios futurs des sécheresses diffèrent fortement selon le type de sécheresse que l’on considère. Ainsi, il existe peu de régions d’Afrique où l’on a pu observer une augmentation significative des sécheresses météorologiques depuis les années 1950 (à l’Ouest, au Centre et au Sud-Est du continent) tandis que presque tout le continent a connu des sécheresses écologiques et agronomiques plus sévères.
En revanche, une augmentation des sécheresses hydrologiques n’a pu être détectée qu’en Afrique de l’Ouest. Avec un réchauffement atteignant +2 °C et à plus forte raison +4 °C, toutes les catégories de sécheresses augmentent, en particulier les sécheresses écologiques et agronomiques dans le Nord et le Sud de l’Afrique, sous l’effet de la hausse des températures qui accroît la transpiration des plantes et agit sur l’évaporation et les canicules concomitantes aux sécheresses dégradant fortement la végétation.
Néanmoins, il est possible qu’une partie des effets négatifs de ces sécheresses accrues sur la production végétale soit compensée par l’effet de l’augmentation des concentrations atmosphériques de CO2, entraînant une meilleure efficacité de l’utilisation de l’eau chez les plantes.
Des disparités régionales importantes
L’évolution des sécheresses en Afrique est loin d’être homogène. Avec un réchauffement atteignant +2 °C à +4 °C, les modèles climatiques simulent une aggravation importante des sécheresses en Afrique du Sud et en Afrique du Nord, et dans une moindre mesure en Afrique de l’Ouest (en particulier au Sénégal, en Gambie et en Mauritanie).
Cette tendance n’est pas simulée en Afrique centrale ni dans la Corne de l’Afrique, régions dans lesquelles les sécheresses pourraient au contraire diminuer avec une élévation de la température globale de +2 °C ou +4 °C. La Corne de l’Afrique est pourtant une région au cœur des préoccupations pour avoir été frappée par des sécheresses meurtrières ces deux dernières années.
De fait, le Kenya, la Tanzanie et l’Ethiopie connaissent une diminution importante des longues pluies de mars à mai qui a débuté depuis les années 1980. Or, les modèles de climat simulent au contraire une augmentation de ces pluies de printemps dans la Corne de l’Afrique sous l’effet de l’augmentation des gaz à effet de serre. C’est ce que les climatologues ont appelé le paradoxe de l’Afrique de l’Est.
La difficulté d’établir l’impact du réchauffement climatique sur les sécheresses récentes
En juin 2021, le Sud de Madagascar était sévèrement touché par une sécheresse extrême qui a fait souffrir de la faim plus d’un million de personnes. Le Programme Alimentaire Mondial (PAM) avait qualifié cette grave crise alimentaire de première famine due au réchauffement climatique provoqué par les activités humaines. Ce message avait largement été relayé dans les médias et par le président malgache lors de la COP26 à Glasgow en novembre 2021.
Or, le lien entre le réchauffement climatique et cette sécheresse a été démenti par une récente étude d’attribution qui a montré que l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre ne rendait pas plus probable la survenue d’une telle sécheresse. L’attribution des événements extrêmes, comme les sécheresses, est une discipline récente, basée sur l’observation et la modélisation du climat, qui cherche à connaître les causes de ces phénomènes. Elle connaît depuis quelques années un essor rapide dû à la fois à de nouvelles méthodologies, à de nouveaux modèles, à une plus grande capacité de calcul, mais aussi à une demande croissante du grand public et des décideurs souhaitant connaître la responsabilité du réchauffement climatique dans les événements extrêmes.
Le World Weather Attribution est un réseau de scientifiques internationaux qui réalise un grand nombre d’études d’attribution portant sur les événements extrêmes les plus récents de par le monde (canicules, pluies intenses, vagues de froid, sécheresses, tempêtes). Sur les 17 canicules qui ont été étudiées depuis 2016, l’impact du réchauffement climatique sur la probabilité et l’intensité de l’événement a été systématiquement démontrée.
Le World Weather Attribution conclut également à la responsabilité du réchauffement climatique dans huit événements de pluies intenses sur les neuf événements analysés.
En revanche, le lien entre sécheresse (quel qu’en soit le type) et changement climatique est plus incertain, en particulier en Afrique. En effet, il n’a pas pu être établi dans la quasi-totalité des sécheresses récentes en Afrique (Corne de l’Afrique, Madagascar), à l’exception de celles survenues en Afrique du Sud.
Dans cette région, une sécheresse persistante de plusieurs années a failli entraîner en 2018 le « jour zéro » à Cape Town, c’est-à-dire le jour où toutes les réserves en eau de la ville auront été épuisées. Il a ainsi pu être démontré que cette sécheresse a été rendue 5 à 6 fois plus probable par les émissions de gaz à effet de serre par la hausse des émissions et qu’un nouveau « jour zéro » aura 80 % de chance de se produire si les émissions continuent de croître.
La nécessité de renforcer le réseau d’observation et la qualité des modèles
Les difficultés à dégager des tendances fiables sur les sécheresses et à identifier l’impact des émissions de gaz à effet de serre sur la fréquence et l’amplitude de ces événements en Afrique sont largement induites par un réseau d’observation de faible qualité comparativement aux autres régions du monde.
En effet, l’observation régulière, sur le long terme, et bien répartie dans l’espace est la clé pour la surveillance et la compréhension de l’évolution du climat. Dans le système mondial de surveillance du climat, Global Climate Observing System Surface Network (GCOS GSN), le continent africain se démarque largement des autres en termes de qualité du réseau de mesures. Il ne compte en 2019 que 26 % de stations qui répondent aux normes de l’Organisation météorologique mondiale, avec 35 % de stations non opérationnelles.
Organisation météorologique mondiale
Ce manque est souvent compensé par l’utilisation de la télédétection. Celle-ci est indispensable pour un suivi de l’humidité du sol, de la végétation et des pluies, mais elle ne permet pas de remonter suffisamment loin dans le temps pour reconstruire des tendances historiques sur les événements extrêmes.
Du fait de cette donnée rare, mais aussi de la forte variabilité naturelle des précipitations en Afrique, il est en effet très difficile d’évaluer les performances des modèles de climat et à simuler l’évolution historique de ces sécheresses, ce qui rend les études d’attribution complexes, voire impossibles. En outre, les différents modèles de climat des exercices CMIP sur l’évolution future des pluies dans de nombreuses régions d’Afrique font peu consensus. Une meilleure estimation de l’évolution des sécheresses sous l’effet du réchauffement climatique devra nécessairement passer par une amélioration du réseau d’observation et des modèles de climat.
Une adaptation indispensable
Même si le lien entre sécheresse et changement climatique en Afrique est loin d’être évident, le risque que fait peser une aggravation possible de la fréquence, de l’intensité et de l’extension des sécheresses est extrêmement élevé sur le continent. Ce risque se cumule avec les autres aléas avérés induits par le réchauffement d’origine anthropique qui menacent le continent comme les canicules, les pluies intenses et les inondations meurtrières.
Par exemple, au cours de l’année 2021, le Sahel a connu à la fois une sécheresse sévère au mois de juin-juillet – avec des répercussions dramatiques sur la sécurité alimentaire, déjà fragilisée par la hausse des prix et les problèmes sécuritaires – et des inondations importantes un mois plus tard en août. Les dégâts engendrés par ces aléas en cascade sont souvent amplifiés par les moyens limités pour y faire face. L’adaptation sera sans doute la clé pour la résilience du continent africain au climat d’aujourd’hui et demain et au cœur des débats de la COP27 qui aura lieu… en Afrique.
Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 7 au 17 octobre 2022 en métropole et du 10 au 27 novembre 2022 en outre-mer et à l’international), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition aura pour thème : « Le changement climatique ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.
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