La guerre d’Ukraine est une guerre totale
Il y a la guerre absolue selon Clausewitz, qui de nos jours ne pourrait prendre que la forme du conflit nucléaire. Mais avant elle, il y a la guerre totale, ou l’inclusion de toutes les sphères d’une société dans la conflagration. Comment avons-nous pu en arriver là?
ENLISEMENT OU NAUFRAGE?
Commençons par un point de situation factuel pour dissiper les euphémismes dont nous abreuvent les médias de grand chemin. La contre-offensive ukrainienne lancée le 4 juin est un échec cuisant. La seule avancée notable tient en le village de Rabotyne (500 habitants avant le conflit) qui en réalité change de main au jour le jour dans un va-et-vient très coûteux pour la partie assaillante. Selon le plan annoncé, la percée ukrainienne devait aboutir en cinq jours à la mer d’Azov, couper en deux le dispositif russe et isoler la Crimée. Au bout de douze semaines, les Ukrainiens sont bloqués dans la «zone grise» — une aire contrôlée par le feu russe mais non fortifiée — sans avoir atteint la première ligne de défense ennemie. Face à un adversaire dépourvu de couverture aérienne, les hélicoptères russes opèrent posément, transformant les fleurons de la mécanique otanienne en ferraille fumante. L’attrition de l’équipement est telle que Kiev a décidé de lancer ses soldats à pied à travers les champs de mines, les condamnant à la boucherie. Les forces russes en profitent pour reprendre du terrain cédé l’an dernier plus au nord, dans la province de Kharkov. La manière dont les médias de grand chemin ont travesti cette débâcle est l’un des plus spectaculaires cas de désinformation de l’histoire. Mais depuis la fin août, eux-mêmes reconnaissent que les choses «ne se passent pas comme prévu» et multiplient les réserves sur le mode «on n’a jamais dit que ce serait une guerre éclair» — en espérant que le public n’ira pas relire leurs propres articles d’il y a trois mois. L’euphémisme en vogue parle d’«enlisement», donnant l’idée d’un front au moins stabilisé en vue d’une hypothétique relance. Or c’est encore une illusion: tout contact, même statique, avec le barrage de feu russe coûte des centaines de vies humaines par jour à l’armée otano-ukrainienne et sa consommation d’équipements et de munitions dépasse de loin les capacités de renouvellement de l’ensemble des pays de l’OTAN. Il apparaît donc que, sur le terrain militaire, la suite des événements ne dépend plus que des intentions de l’état-major russe. Côté OTAN, la chasse aux boucs émissaires commence déjà. Kiev, ces jours-ci, pointe du doigt le commandant de l’armée, Zaloujny, qu’on ne voit d’ailleurs nulle part, pour sa trahison supposée des régions du sud-est. En Occident, même si ce n’est pas encore explicite, c’est la tête de Zelensky lui-même qu’on veut mettre au bout d’une pique.
LA TOURNÉE DU NOYÉ
Pour sa deuxième visite aux États- Unis, le petit homme vert n’a pas eu droit — c’est le moins qu’on puisse dire — au tapis rouge. Le jour même de son arrivée, le New York Times et Reuters publiaient des enquêtes attribuant à Kiev la responsabilité du récent massacre de Konstantinovka, impliquant donc que les Ukrainiens bombardaient leurs propres civils. Ces journalistes auraient pu se livrer au même exercice à propos du massacre de Boutcha ou de l’hôpital de Marioupol, mais ils ne l’ont pas fait, parce qu’il s’agissait alors de favoriser Zelensky. L’information, dans leur monde, n’est qu’un levier de pouvoir.
Le reste du voyage a été à l’avenant:
le discours du Ze aux Nations-Unies devant une salle fort peu remplie a été suivi d’un silence embarrassé, la rallonge à 24 milliards qu’il réclamait s’est réduite à peau de chagrin, et le show organisé à Washington lors du précédent voyage, avec discours au Congrès et selfie avec les élus autour d’un drapeau ukrainien, n’a pas été reconduit.
La victoire, dit le proverbe, a beau- coup de pères, mais la défaite est toujours orpheline. Les Américains en veulent à Zelensky d’avoir raté l’offensive où ils l’ont eux-mêmes poussé, et davantage encore d’avoir gâché leurs équipements (lui ayant reproché, comble de cynisme, d’être trop «précautionneux» avec les ressources humaines).
En Europe, la querelle avec la Pologne au sujet de l’embargo sur le blé ukrainien s’est transformée en conflit ouvert qui divise l’UE. Les Polonais ôtent les gants et mettent fin à leur aide militaire, tandis que leur président Duda qualifie l’Ukraine d’«homme qui se noie» — et qui risquerait, surtout, d’entraîner ses sauveteurs dans sa noyade. On peut d’ores et déjà soupçonner que le sort de Lvov se réglera entre Varsovie et Moscou, sans que Kiev n’ait vraiment son mot à dire.
Bref, l’Occident se retrouve dans une impasse qu’il a lui-même créée en refusant d’entendre depuis 2008 les mises en garde russes au sujet de l’extension de l’OTAN — ceci est désormais reconnu par son secré- taire général en personne — et en s’aveuglant tragiquement sur les capacités militaires et économiques de la Russie. Il apparaît donc que l’opération de désinformation la plus massive de l’histoire occidentale avait pour cible… ses auteurs eux-mêmes! Comme je l’écrivais dans «Le Syndrome Tolstoïevsky», le problème, avec l’approche occiden– tale de la Russie, n’est pas tant dans le manque de volonté de comprendre que dans l’excès de volonté de ne rien savoir. Voici que cette arrogance nous revient de plein fouet à la figure et risque bel et bien de nous entraî- ner par le fond avec le noyé dont nous avions fait notre champion. Le centre de pouvoir le plus belliqueux de la planète — la secte néocon qui dirige l’Amérique — se trouve tiraillé entre deux tendances: ceux qui à tout prix veulent poursuivre la guerre, même si plus personne n’espère un succès, et ceux qui souhaite- raient «geler» le conflit au moyen de négociations, non bien entendu pour instaurer la paix — ce mot est banni en Occident — mais afin de passer le cap des élections présidentielles de 2024 et de remettre sur pied une quatrième armée ukrainienne en vue d’une remise en route du «hachoir à viande» sous des auspices qu’on espère meilleurs. Ce stratagème assez grossier a été sèchement dénoncé par le Kremlin, qui déclare (le 21 septembre) ne voir aucune raison d’interrompre les opérations. Pourquoi la Russie se fierait-elle à la parole de l’OTAN, qui a passé ces trente dernières années à la piétiner?
LA SOIF DES VAMPIRES
Il est significatif d’observer combien il est rare de lire, en Occident, une expression de compassion sincère pour la tragédie que vit aujourd’hui l’Ukraine. Ceux qui arborent le drapeau bleu et jaune, qui parlent d’indépendance, de souveraineté, d’occupation et de résistance, ne semblent avoir fixé aucune limite humaine — aucun quota de sang versé — à leur ardeur guerrière. Les discours de paix, on laisse ça au pape François, à Orbán et à Erdogan, humanistes bien connus. C’est l’un des signes qui trahissent la nature vampirique du soutien occidental au régime de Kiev. Il n’y a aucun coût humain pour retenir les ambitions de l’empire, car il n’y a simplement rien d’humain dans ses projets. Et les Anglo-Saxons ont trouvé dans les élites issues du Maïdan des sociopathes aussi indifférents à l’humain qu’eux. Les chiffres de pertes humaines qui commencent à circuler jusque dans les médias occidentaux sont effrayants. Un demi-million de morts en moins de vingt mois de combats. La déclaration du responsable de la conscription de Poltava, reprise ces jours dans les médias, donne la mesure du désastre:
«Sur 100 appelés venus reconsti- tuer nos unités à l’automne de l’an- née dernière, il n’en reste que 10 à 20 en état de se battre, le reste a été tué, blessé ou estropié», a déclaré Berezhnoy, soulignant que le niveau des pertes dans les unités de mobi- lisés au cours de l’année écoulée a augmenté, atteignant 80-90 %.»
8 ou 9 hommes sur 10 mis hors d’état de combattre en une année: ces statistiques évoquent la Première Guerre mondiale — et pour quel résultat? Mais la machine ne connaît pas de marche arrière. Ayant raflé tous les effectifs masculins disponibles au pays, Kiev a réclamé à ses alliés de lui restituer les hommes
«planqués» en Europe. Puis l’on est allé recruter les femmes — et l’on a emballé la sinistre consigne dans une communication bien étudiée. Dans une de ces mises en scène médiatiques dont elles ont le secret, les autorités ukrainiennes ont fière- ment présenté les nouveaux gilets pare-balles spécifiquement désignés pour les femmes. On a même conçu des modèles pour femmes enceintes. On envoie les futures mères à la mort — mais en faisant mine de les protéger. La perversion est à peine imaginable. Elle démontre une indifférence complète à l’avenir démographique du pays.
Or celui-ci était notoirement sombre bien avant cette guerre. Selon le professeur Ella Libanova, directrice de l’Académie nationale des sciences d’Ukraine, l’Ukraine avait le taux de fécondité le plus bas du monde en 2001. Aujourd’hui, c’est l’exode massif de la population jeune, et en particulier des femmes en âge de procréer, qui compromet l’avenir démographique du pays.
«Selon un document publié ce mois-ci: “Les démographes ukrainiens prévoient que l’indice synthé- tique de fécondité (ISF) descendra jusqu’à 0,71 en 2023-24, soit le taux le plus bas jamais enregistré dans le monde.”»(1)
Mais il n’y a personne pour s’en soucier. Le gouvernement ukrainien ne réclame pas le retour de ces jeunes femmes, il prévoit au contraire d’envoyer au front celles qui sont restées au pays. Comme si l’avenir de son peuple le préoccupait moins que la mission-suicide assignée par ses alliés. Même l’utilisation de munitions à l’uranium appauvri — encore un cadeau empoisonné américain — dans un théâtre d’opérations qui est aussi le «grenier à blé de l’Europe» ne semble soulever aucune objection à l’intérieur du pays. Ceci alors que les séquelles de cette contamination radiologique des sols en Irak et au Kosovo sont connues et documentées.
NATION-SUICIDE
De fait, l’obstination du pouvoir ukrainien, et des milices les plus fanatiques qui l’entourent, à alimen- ter un massacre sans espoir de victoire, a quelque chose d’effrayant. Cela ressemble à une possession démoniaque. Parlant à l’occasion du sommet du BRICS, le 23 août, Vladimir Poutine s’est étonné de l’indifférence des dirigeants ukrainiens à l’égard des vies de leurs propres soldats:
«Ils les poussent dans les champs de mines comme si ce n’étaient pas leurs hommes… Ils se conduisent comme si ce n’étaient pas du tout leurs concitoyens. C’est étonnant. Mais ce sont leurs affaires.»
L’horizon militaire étant bouché, le régime de Kiev s’est tourné vers l’action terroriste, qu’il revendique crânement (voir le Marque-pages de l’Antipresse 406). Le programme d’assassinats ciblés et les attaques de drones sur des aires civiles de Russie s’enchaînent sur une campagne de terreur à l’encore des populations rebelles qui n’a jamais cessé depuis 2014. Toutes les armes «décisives» livrées par l’Occident (Himars, canons CAESAR, bombes à sous-muitions) ont été utilisées contre les cibles civiles dans le Donbass sans jamais soulever de protestations ou de représailles de la part de l’Occident. Ce fait est amplement documenté par les reporters sur place, russes ou étrangers. Par leur approbation tacite, les gouvernements de l’OTAN se rendent solidaires de cette stratégie à la fois criminelle et stupide. Dans un entretien récent, le colonel Jacques Baud est revenu sur l’option terroriste en soulignant son absurdité: jamais, rappelle-t-il, le terrorisme n’a pu «retourner» une population contre ses dirigeants. Au contraire, il la rend solidaire du pouvoir en place. Jacques Baud souligne aussi — à la différence de la plupart des analystes — le rôle clef du «Docteur Goebbels» du pouvoir ukrainien, le spin doctor du Maïdan Alexei Arestovitch. Comme nous l’avons nous-mêmes rappelé dès le début du conflit, Arestovitch a
- prophétisé la guerre «nécessaire» contre la Russie comme gage d’admission dans l’OTAN;
- vanté les méthodes terroristes, en particulier celles de DAECH;
- admis qu’il avait sciemment menti sur les perspectives d’ave- nir de l’Ukraine;
- confessé son insensibilité foncière face au sort du peuple
Entre lui, le comédien-clown Zelensky, le cynique patron du renseignement Boudanov et les divers chefs néonazis plus fanatiques les uns que les autres, la galerie de portraits composant le sommet du pouvoir ukrainien révèle une sorte de fil rouge. Ces gens n’ont pas en vue la survie de leur peuple, mais le triomphe d’une idée. Or cette idée, incarnée par le folklore païen et sacrificiel du Soleil noir, est morbide dans son expression publique et revendiquée (voir AP333). L’Ukraine sous la houlette de ces hommes est une nation-suicide qui consent à être utilisée comme bélier et comme charpie. Tant qu’ils seront au pouvoir, le massacre se poursuivra comme ils l’ont promis: jusqu’au dernier Ukrainien.
«TOTALER KRIEG»
Le sort de la nation ukrainienne, et la manière impitoyable dont elle est sacrifiée par ses parrains d’outre-At- lantique, donnent la mesure la plus tangible de l’intensité du conflit dont ce pays est le théâtre, le mercenaire et la victime. Depuis que les négociations de paix de mars 2022 ont été annulées par l’intervention de Boris Johnson au nom de l’OTAN, les pertes humaines de cette guerre sont directement imputables à ceux qui ont voulu sa poursuite à n’importe quel prix. Elles sont colossales et augurent d’un désastre historique.
Guy Mettan, dans son étude de référence Russie-Occident, une guerre de mille ans, souligne que la russophobie a toujours été diffusée d’en haut. De fait, sans que les populations aient été consultées, les élites dirigeantes nous ont placés en 2022 dans une situation où tout ce qui est occidental est mobilisé contre tout ce qui est russe.
L’Ukraine est devenue la seule guerre sainte d’une société qui a aboli le sacré. Le service public pouvait s’effondrer en Europe, les industries se mettre en faillite, les classes modestes tomber de pauvreté en misère et les écoles manquer de chauffage, les budgets d’aide militaire à l’Ukraine restaient prioritaires et «peu importe ce que pensent les électeurs», comme l’a clamé la ministre allemande Annalena Baer- bock. Et l’utilisation de ces moyens pharaoniques n’est soumise à aucune vérification, ni du point de vue opérationnel ni du point de vue éthique. Ni la revente en masse des armes reçues sur le marché noir ni leur utilisation délibérée contre les civils n’ont soulevé la moindre objection de la part des donateurs. Par ailleurs, après les listes de sanctions frappant les élites du pays, la saisie de biens et de comptes de ressortissants russes — et donc l’abolition du sacro-saint respect de la propriété privée —, l’UE a instauré la saisie des effets personnels de Russes voyageant en Europe: voitures, télé- phones portables et autres produits sous embargo. C’est une interdiction de fait d’entrer sur le territoire et c’est proprement le Rideau de fer qu’on reconstruit, mais à l’envers.
A quoi s’ajoute la guerre économique — contre-productive, et néanmoins maintenue —, la propagande médiatique assumée, la censure de l’expression publique, bref tout l’éventail de la «guerre hybride» qui n’est que l’appellation moderne d’une guerre totale. C’est une guerre sans lignes de front, sans limites et qui imprègne tout.
Or ce concept, comme Éric Werner me l’a rappelé, est revenu dans l’histoire à un moment bien précis. Il a été martelé le 18 février 1943 par le ministre de la Propagande du Reich Joseph Goebbels lors d’un rassemblement historique au Sportpalast de Berlin. Deux semaines plus tôt, le feld-maréchal von Paulus avait rendu les armes à Stalingrad et les dirigeants du Reich sentaient que la fortune de la guerre avait changé de camp. Jusque-là, ils avaient pu conquérir l’Europe sans perturber l’ordre civil de l’Allemagne. Dès février 1943, ils ont su qu’ils jouaient leur survie, politique et physique, et mobilisaient, comme lors de la Première Guerre mondiale, toutes les ressources du pays pour les protéger(2). Au nom, proclamait-il, de la sauvegarde d’une Europe libre face aux hordes bolchéviques.
Quelle menace les élites occidentales ont-elles senti souffler de l’Est en février 2022 pour déclarer elles aussi le totaler Krieg et y sacrifier toute leur prospérité, toute leur sécurité et toute leur crédibilité?
CODA
La seule ressource que l’Occident n’ait pas mobilisée contre la Russie est son propre effectif militaire. Ceci pour trois raisons, dont la dernière est peut-être la première. 1. Cela risquerait d’entraîner un conflit frontal avec la Russie avec escalade nucléaire. 2. Les États occidentaux n’ont plus les effectifs humains nécessaires. 3. Même s’ils les avaient, ils ne pourraient les mobiliser pour des raisons idéologiques. Revenons brièvement sur les points 2 et 3. Depuis une génération maintenant, l’idéologie oMcielle de notre société œuvre à l’humiliation, la marginalisation et la disparition de l’homme fort, courageux et agressif prêt à se sacrifier par loyauté et fierté. Or on ne fait pas une armée avec des holothuries, quels que soient les budgets de propagande qu’on y investira. Les deux seuls pays de l’OTAN ayant aujourd’hui des armées viables sont la Pologne et la Turquie où la corruption wokiste n’a pas pris racine. La mobilisation d’une armée prête au combat, en n’importe lequel de ces pays, ranimerait la fierté masculine que l’idéologie oMcielle prohibe. Sa participation à une vraie guerre ferait émerger une féodalité guerrière qui balaierait rapidement la caste académico-culturelle et ses marottes LGBTQRZ.
En somme: si l’Occident perd la guerre contre la Russie, sa religion oMcielle est condamnée. Mais s’il se donne les moyens de la remporter, elle meurt aussi. En d’autres termes, la secte sataniste gouvernant l’Occident se sait condamnée par cette guerre contre la Russie, quoi qu’il arrive. La seule option qui lui reste est d’essayer d’entraîner le monde entier dans sa perte.
NOTES
- Le taux de fécondité nécessaire pour qu’une population puisse se renouveler se situe aux alentours de 2,1.
- La notion de guerre totale a été théorisée par le général Ludendorff dans l’entre-deux-guerres dans un livre qui porte ce titre.