Voilà pourquoi le secret du développement économique foudroyant de la Chine a bien peu à voir avec la planification et beaucoup avec…
L’analyse des étapes de la transformation de la Chine en superpuissance met en lumière un facteur sur lequel nous devrions méditer.
Avec Barthélémy Courmont 06/01/25
——————————————————————————————————————
Atlantico : L’économie chinoise n’a-t-elle pas bénéficié essentiellement des qualités de la main-d’œuvre et des atouts des travailleurs chinois ? En quoi la planification et l’automatisation ne sont pas les seules et uniques explications du développement économique foudroyant de la Chine ?
Barthélémy Courmont : La Chine a inscrit dans son développement économique la formation de ses élites en misant sur un niveau d’éducation élevé. Cela se traduit par des universités de plus en plus reconnues, et un niveau général d’éducation qui ne cesse de croître. En cela, Pékin s’inspire de la trajectoire suivie par les autres puissances économiques de la région, du Japon à Taiwan, en passant par la Corée du Sud, qui ont tous fait de l’éducation une de leurs priorités de développement. A l’occasion d’un échange récent avec Stan Shih, fondateur d’Acer, et l’un des principaux acteurs de l’économie taiwanaise, ce dernier m’indiquait que la clef de la réussite de Taiwan, qui tient sur l’innovation technologique, se trouve dans le très haut niveau d’éducation. Il en a fait la pierre angulaire de son héritage économique et intellectuel. Cet exemple n’est pas anodin, quand on sait l’influence que Stan Shih a du haut de ses 80 ans à Taiwan, mais aussi en Chine. On pense aussi à la trajectoire de Singapour, qui a fortement inspiré les dirigeants chinois, et qui s’est appuyée sur une éducation performante pour atteindre le niveau d’excellence qui est aujourd’hui le sien. Il n’y a donc pas d’exception chinoise, mais compte-tenu de l’importance de sa population, cela a un impact très fort, avec un pays qui est désormais à la pointe de nombreuses technologies. On oublie ainsi souvent de mentionner que si le Japon fut pendant des décennies le pays qui homologuait le plus grand nombre de brevets chaque année, c’est désormais la Chine qui a l’avantage dans ce domaine. Si la Chine reste l’usine du monde, elle est désormais capable de produire des technologies capables de rivaliser avec ce qui se fait de mieux, et cela est le résultat de politiques éducatives performantes, en plus d’investissements massifs en recherche et développement.
Le niveau d’éducation et de formation des travailleurs chinois est-il aussi l’une des clés du secret du développement économique foudroyant de la Chine ?
On a beaucoup disserté dans le monde occidental, depuis la réouverture post-Covid de la Chine, sur le très fort taux de chômage des jeunes dans ce pays, comme pour illustrer un essoufflement de la dynamique de croissance chinoise. Il est vrai que plus de 20% des jeunes étaient sans emploi il y a environ un an, mais ce chiffre serait aujourd’hui redescendu en deçà des 18%. Il est certes révélateur des défis auxquels est confrontée la Chine, qui sait que la croissance à deux chiffres de son PIB appartient désormais au passé, mais il s’explique aussi par la spécialisation de plus en plus forte des jeunes qui arrivent sur le marché du travail, avec notamment une entrée dans la vie active plus tardive. Le temps où les jeunes chinois prenaient des emplois très jeunes et sans qualification a laissé place à un désir de poursuivre des études supérieures pour accéder à de meilleures carrières.
Le développement économique de la Chine tient à deux facteurs qui semblent contradictoires, mais sont en fait très complémentaires. D’une part, une main-d’oeuvre qualifiée capable d’innover et de penser le Made by China. D’autre part une abondante main-d’oeuvre peu qualifiée, qui a grossi les usines et produit le Made in China. La question que doivent désormais se poser les économistes chinois est de savoir si l’augmentation de la qualification ne se traduira pas par des besoins jusqu’à présent peu importants d’une main-d’oeuvre bon marché.
L’autre atout essentiel de la main-d’œuvre chinoise repose-t-il sur les valeurs confucéennes qui poussent les travailleurs chinois à s’améliorer en termes de niveaux d’éducation et de compétences pour viser l’excellence ?
Comme les autres pays de la région, la Chine est une société confucéenne. Le système chinois s’appuie sur des concours permettant de gravir les échelons, à la manière de la formation des élites selon les préceptes confucéens. Le concours Zhongkao permet ainsi d’entrer en collège tandis que le Gaokao permet aux lycéens d’accéder à l’enseignement supérieur. Par ailleurs, l’enseignement est obligatoire pendant une durée minimale de neuf ans, mais aussi gratuit, ce qui permet à tous les jeunes chinois de bénéficier d’un niveau d’éducation qui se traduit par une quasi absence d’illettrisme, et des connaissances de base dans plusieurs disciplines. Conséquence, un certain bachotage est privilégié au détriment du développement d’un esprit critique, mais les résultats sont spectaculaires. Le regain du confucianisme en Chine a joué un rôle important dans cette obsession pour l’excellence et les études. Il n’en fut cependant pas toujours ainsi. On se souvient que pendant la Révolution culturelle, c’était tout l’inverse, le confucianisme étant catégorisé comme une des quatre vieilleries. Conséquence, une génération perdue de jeunes chinois sans qualification a déferlé sur le marché de l’emploi. Mais dès les années 1980, à l’initiative de Deng Xiaoping, la Chine a fait de l’éducation le pilier d’une tradition confucéenne progressivement remise au goût du jour, et aujourd’hui glorifiée.
Il faut enfin ajouter à ces éléments les effets e la politique de l’enfant unique, et une fécondité qui reste très faible – et qui se traduit par un déclin démographique. Dans la majorité des familles chinoises, il y a quatre grands-parents, deux parents et un enfant. Tous les espoirs reposent sur ce dernier, qui se doit donc de performer. La pression pour faire des études supérieures est ainsi très forte.